PianoGraphe

Une performance pour piano, contrebasse et création vidéo.

Perrine Mansuy, piano, composition.
Denis Cartet, vidéo.
Bernard Santacruz, contrebasse.

12 novembre 2022 : vitrolles

 

Pianographe est une performance live au cours de laquelle Perrine Mansuy compose en direct le portrait musical de sa famille, originaire d’Algérie, en interaction avec le contrebassiste Bernard Santacruz et le vidéaste Denis Cartet.

Entourés de projections d’images, photos et films 8 et 16 mm tournés à Alger par son grand-père entre 1935 et 1955, ils créent ensemble un environnement sonore et visuel immersif, dans lequel le public est invité à se plonger pour découvrir et partager des “ remontées de mémoire ”.

« Alger...l'évocation omniprésente de ce lieu de grâce originelle a toujours résonné en moi sous la forme d'images et de récits fantasmés. Je m'imaginais déambulant autour des pianos du grand magasin de musique de mon grand-père, avec le privilège de pouvoir emprunter n'importe quelle partition, essayer n'importe quel instrument ou encore réaliser un enregistrement sur microsillon dans le studio du sous-sol, comme l'avait fait ma mère, enfant.

Au-delà de la mémoire reçue indirectement, c'est aussi une mentalité qui m'a été transmise, une façon de parler, un certain sens de l'humour, une légèreté et une joie dans le rapport à l'autre. J'ai souvent été très surprise par la grande familiarité qui s'installe si facilement avec mes amis originaires d'Afrique du Nord, un peu comme si je découvrais à chaque fois de vraies racines.

Et puis en toile de fond, de nombreux thèmes plus douloureux et plus complexes sont apparus tels que celui d'un passé colonialiste, celui d'une guerre, de l'indépendance et de l'exil. Cette histoire est tout simplement celle de mes ancêtres, des hommes et des femmes qui sont nés et qui ont vécu sur une terre qu'ils ont terriblement aimée et qu'ils ont dû quitter du jour au lendemain. Beaucoup d'entre eux ne s'en sont jamais remis.

De mon côté c'est à travers le piano que cette transmission fut pour moi la plus importante et la plus décisive : rescapé de la Guerre d'Algérie, trônant au milieu du salon, un piano droit art-déco Erard, provenant du magasin de mon grand-père fut pour moi un terrain de jeux inépuisable. Il l'est toujours aujourd'hui.

Avec PianoGraphe, l’histoire de ma famille en Algérie devient une source d'inspiration et de composition. Il s'agit d'en faire une lecture sensible, d'y apporter un regard nouveau par la réalisation d'un portrait musical. A travers des images, des portraits, des scènes de la vie quotidienne, tels des remontées de mémoire, c'est l'universalité du souvenir de famille qui est mise en lumière.

Pour cette performance, je collabore avec Denis Cartet, cinéaste et créateur vidéo, qui a aussi réalisé un travail de mémoire avec son film Mon père, officier d'Algérie. L'idée scénique repose sur notre envie commune de pouvoir interagir sur scène en direct, ce qui répond parfaitement à mon désir d'improvisatrice, largement soutenu par la présence de Bernard Santacruz, contrebassiste et improvisateur né à Alger. Nous sommes tous les trois nourris par notre attachement commun à ce pays, à cette culture, à cette histoire. »

Perrine Mansuy

“ Je regarde une image qui me touche. J’écoute une musique qui me prend. Je retombe sur un vieil album photos. Trois expériences qui empruntent à une même transe. Je disparais. Ou pas tout à fait. Je n’ai jamais été aussi présent. Je me présente. Je suis celui ou celle, pour lequel, laquelle, le passé n’est pas déjà joué. Le passé se présente. Les souvenirs, quand ils se présentent à nous ainsi, sous la forme d’objet, demandent toujours à être rejoués. Nous penchons la tête légèrement face au visage sur la photo, à la recherche d’une joue, d’une posture perdue, seule capable de faire renaitre dans le corps le passé disparu. Nous tendons l’oreille, les yeux fermés découvrant dans chaque note de musique la mélodie qui se forme peu à peu. Juste assez de mémoire pour garder en tête la phrase musicale qui a commencé. Juste assez d’oubli pour danser sur place et se laisser aller à ce qui vient. Les souvenirs sont comme ces vieux disques que l’on retrouve au grenier, ou sur les marchés, qui demandent pour être joués des appareils qui existaient en leur temps, des diamants ou des saphirs spéciaux. Les phonographes ici c’est nous. On cherche le sillon avec la pointe son âme, on y met du sien, on s’applique, à la trace. C’est que la mémoire s’invente aussi. A chaque souvenir, sa mémoire. A chaque mémoire, sa musique et ses images. Quand nous sommes musiciens, nous ne sommes que des instruments de la musique. Mais nous devenons alors, spectatrice-actrice, spectateur-acteur, de ce qui nous traverse. Nous voulons être aussi des instruments de la mémoire, pouvoir la jouer, la déjouer. Mettre du jeu entre elle et nous. Il y a dans la musique de quoi faire une mémoire pour ce que nous n’avons ni vécu, ni voulu. Cette mémoire de l’instant c’est la résonance qui va croissante. Cette magnifique capacité d’accueil du présent à accueillir plus que lui-même, à faire durer le temps, à le démultiplier. Si le souvenir cherche son instrument pour être joué. On peut comprendre alors les pianistes, les projectionnistes-vidéastes, les contrebassistes, qui prendraient de vieux films, ou de simples objets, pour partitions à interpréter. Le phonographe devient le pianoGraphe. Un hommage de la musique rendu à l’image, d’un temps devenu spatial à un espace-temps, mouvement, couleurs, noir et blanc. Le temps des vies d’avant qui se prolonge dans l’attention de celles et ceux qui vivent au présent. Graphie de la lumière dans laquelle la musique se graphe. Polygraphie des écritures, inventions des temps et des ères géologiques nouvelles. Nous nous retrouverons. Je t’ai écris une lettre en te regardant. “

Matthias Youchenko
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